America/Méxique/Mysticisme

Rendez-vous dans le désert

par Hélène Cavaillé

désert_1Assise je croyais ne jamais pouvoir me relever. Pourtant, une fois debout, je trouvais largement la force de marcher. J’étais vide, je ne pensais à rien, il n’y avait pas d’effort à fournir, le chemin se déroulait comme un tapis sous mes pieds. On longea une partie du désert puis on traversa le village par lequel on était déjà passés à l’allée. Au bout d’une heure, le visage rouge et dégouttant de sueur, on s’écroulait à l’ombre d’un arbre.

Un paysan s’approcha. Il était brun comme la terre. Les yeux vifs, les pommettes saillantes, le sourire de plomb, il s’arrêta à notre hauteur. « Alors on est fatigués ? » Hochement de tête collectif. Puis silence. Il nous considérait en souriant. « Vous êtes drôles à voir, vous… Un Huichol et deux Blancs ! » Occupés à souffler, on ne releva pas la remarque. De la couleur de sa peau, son chapeau semblait ramollir sur son crâne. Son tee-shirt, son jean, tous ses vêtements étaient recouverts par la crasse sèche du désert. Il avait une machette à la main et un petit sac en bandoulière. Mon regard s’arrêta sur elle, malgré la rouille sa lame brillait sous le soleil.

Brusquement, il tira quelque chose de sa sacoche. « Vous en voulez ? » Je vis Ignacio sursauter.

« C’est quoi ? » Réponse inutile. Il était petit, mais plus vert que les nôtres. Alors je reconnus le rire d’Amel, son rire de toujours. Celui qui partait du ventre comme une toux, allumant ses yeux et secouant sa tête pour donner un mouvement heureux à ses cheveux bouclés et faire trembler son corps comme au bout de ses lèvres. C’était très communicatif, j’eus envie de rire moi aussi.

désert_2 Sous les yeux outrés d’Ignacio le paysan cassa le peyotl en deux. « Tenez ! » Il ne se rendait pas compte… Par principe on refusa. « Et toi, t’en veux pas ? Vous, les Huichols, vous aimez ça ! » Il fit signe que non. « Comme vous voulez… » Alors, la bouche pleine de cactus, il se mit à baragouiner dans un langage inaudible. Ignacio semblait comprendre… Mon attention déclina… Ils parlèrent longtemps entre eux dans cet espagnol bizarre. C’était une langue rude, vigoureuse et catégorique. Ne pouvant prendre part à la discussion, je me contentai d’observer leurs attitudes. Bien campé sur ses deux jambes, l’homme mâchait avec le côté droit de la bouche, dans l’éclat de sa voix des postillons peyotiques fusaient, par moment des coups de machette venaient souligner ses mots dans le vide. Il avait l’air sûr de lui, caricaturalement viril. Ignacio, quant à lui, semblait tout petit, assis sur les racines de l’arbre, il jouait avec la terre, secouant de temps à autre la tête en signe d’assentiment, à l’écoute et silencieux, on aurait dit un enfant devant un maître d’école.

La scène était belle à voir…

L’homme sortit un autre peyotl de sa sacoche. Je ne pus m’empêcher d’observer la réaction d’Ignacio. Fixant la terre de ses yeux sombres, il ne bougea pas. D’un geste vif et précis, le paysan trancha les racines à la machette. Je suivis leur chute du regard. Arraché du sol sans vergogne, le peyotl ne repousserait plus… Il se tourna vers nous : « Vous en voulez ? » On refusa de nouveau. Il s’était remis à parler clairement. « C’est drôle les touristes en demandent toujours, normalement ! Je connais même des gens qui en vendent ! » Je lui demandai si ces gens laissaient les racines dans le sol. Il eut un rictus « Ah oui ! On m’a parlé de ça ! On dit qu’il faut laisser les racines pour qu’il repousse… Bah pour moi c’est raté ! » Je me tournai vers Ignacio, les mains farfouillant toujours dans la terre, il ne dit rien. Un étrange sentiment m’envahit : « Il faut que vous disiez aux gens de couper les racines sans les arracher du sol, sinon y aura bientôt plus de peyotls et vous ne pourrez plus ni en manger ni en vendre ! » L’homme haussa les épaules « Si ça vous fait plaisir ! » Il mâchait avec bruit. « C’est vrai que ce serait dommage de plus en avoir. C’est spécial comme goût… C’est pas mauvais, hein… C’est juste spécial… Vous devriez goûter, je vous jure ! » On ne répondit rien.

Un long moment passa entre les coups de sa mâchoire et la terre filtrée par Ignacio. Enfin, il cracha le dernier morceau de peyotl. « Bon, bah je vais y aller, hein !»

On se leva pour le saluer.

désert_3Découpée dans l’ombre de la terre, je regardai sa silhouette s’amenuiser jusqu’à l’extinction. Un étrange vide se forma dans mon cœur. Avant de partir, je ramassai les racines. Amel vit mon geste. « Tu vas les garder ? » Je les lui tendis. Rabougries et sèches, elles ne rayonnaient plus comme avant. « Elles ont l’air triste. Tu vas en faire quoi ?» Je ne savais pas, les mettre quelque part, les garder en souvenir… Peut-être.   

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